Joël Riff, chronique Curiosité 2020 semaine 42 Architrave, états de faits, 2020

 

 

Anthony Plasse (français né en 1987) réussit un superbe projet, exploitant les potentialités offertes par l'endroit en matière photographique. Par de subtils jeux d'ombres et de lumières, de transparences et d'opacités, l'artiste sublime ce jardin d'hiver en l'utilisant pour motif et contexte, résultat et outil, contenu et contenant. L'ensemble demeure futé et sensible.

 

 

Joël Riff, 2020

 

 

 

Henri Guette, états de faits, 2020

 

 

La chambre noire est le dispositif le plus éloigné de celui de la serre. Quand la pratique de la photographie nécessite l’ombre, la croissance des plantes demande du soleil. Il pourrait paraître paradoxal de chercher à réunir ces deux lieux mais ce serait oublier qu’ils entretiennent un rapport spécifique au temps qu’ils mettent en scène. La serre permet l’entretien des espèces botaniques les plus fragiles, et place la vie des plantes au centre des regards dans une architecture qui est aussi, palais de cristal, celle des grandes expositions. La chambre noire condense en une image un moment, un mouvement qu’elle résume en deux dimensions et avec parfois des effets de flou. Anthony Plasse ne cherche pas l’image mais quelque chose d’antérieur encore, une aura, une ombre. Il n’a pas besoin d’appareil pour toucher au coeur de son médium : la lumière. En usant des révélateurs pour aller au-delà des surfaces des lieux qu’il habite, il propose une archéologie de la lumière, une spectrographie révélant la manière dont les murs irradient. Travaillant in situ l’artiste joue de l’exposition pour proposer une expérience du temps et de la durée. Sans changer les plantes de place dans son processus, il concentre les regards sur cet environnement particulier et révèle le rythme d’une vie végétale.

 

Avec états de faits, Anthony Plasse prend la position d’un observateur tenant compte de ce qui le précède, enregistrant les informations et leur donnant forme. Il s’est intéressé autour de ce bâtiment du XIXème à l’histoire contemporaine de Saint-Étienne et de ses manufactures. La question du motif a guidé ses recherches. Nombre de dessinateurs industriels ont pu s’inspirer de plantes ou de fleurs pour leurs ornements. Ces motifs codés pour être reproduits par des machines et diffusés largement participent en plein de la reproductibilité technique qu’analysait Walter Benjamin dans son essai célèbre L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Bien qu’Anthony Plasse travaille un même espace, ses impressions ne sont jamais identiques. La question du sujet le hante, qu’est-ce qui fait image ? Que représente réellement une image ? Les toiles qu’il manipule témoignent de la forme d’une architecture, de ses bords mais les variations de gris qu’il matérialise n’ont rien à voir avec ce que nous percevons ordinairement du réel. À taille humaine, à l’échelle des bras de l’artiste, ces toiles tendues sur châssis rendent tangible ce que nous ne pouvons percevoir. Suspendues par des câbles, elles résonnent avec les montants de la verrière et nous donnent à saisir une transparence.

 

L’artiste ne cache pas ses gestes, la trace de ses doigts fait partie de la matérialité de ses formats au même titre que les poussières qui auraient pu être capturées. On les saisit mieux dans l’exposition de différents formats mis côte à côte ; dans les nuances, dans les replis aussi de la toile. Pour la première fois, Anthony Plasse montre les plis avec lesquels il travaille, qui sous-entendent directement un déploiement dans l’espace et une profondeur. États de faits révèle autant un lieu qu’une pratique. Il s’agit d’une démonstration qui varie avec les heures du jour ; il s’agit d’un espace de temps que l’on donne à voir. Entre les plantes, la lumière passe toujours et comment y rester indifférent ?

 

 

Henri Guette, 2020

 

 

 

Martial Déflacieux, 2019

 

 

Pour être tout à fait clair, la pratique artistique d’Anthony Plasse, quelle que soit son apparence noire, est diaphane. Comprendre, à travers ce simple énoncé, toute la complexité des images produites, est simple. Ces œuvres sont extraordinaires. Elles sortent de l’usage commun de la photographie par des processus expérimentaux éprouvés par l’artiste. La chambre noire, habituel espace de la révélation, est aussi pour A.Plasse, celui de la prise de vue. Un espace génétique capable de produire une représentation de façon quasi autonome. Cette autonomie, cette liberté offerte aux différentes étapes de la construction photographique est le résultat d’une distinction opérée volontairement par l’artiste. A.Plasse le souligne ; il souhaite créer une distance entre sa main et le support pour lui permettre de réaliser ce que trop directement, il ne pourrait produire sans elle.

 

Si on considère la peinture comme le traitement indirect du réel et la photographie son impression ; on doit reconnaître en cet artiste, un peintre et un photographe conjugués au singulier. Historiquement, le repère chronologique sur lequel on pourrait placer cette fusion, se situerait quelque part entre la fin de la peinture académique, l’apparition des avant-gardes historiques et le début de la photographie ; son origine serait alors poétiquement nichée dans l’air de Paris du 35 boulevard des Capucines durant le printemps 1874. Ce repère symbolique est celui d’une infime limite entre le réel et sa représentation, ce qui rend la pratique d’A.Plasse extraordinaire, c’est qu’elle s’établit à l’extrême point de mi-distance entre les deux. On ne peut difficilement être plus clair.

 

Martial Déflacieux, 2019

 

 

 

Rafaa Bacha, Jeune Création édition 69, 2019

 

 

La fuite de la représentation a souvent été le moteur d'Anthony Plasse. Il cherche à donner du sens à l'acte créateur sans passer par la légitimation de l'image. Son questionnement et sa pratique découlent  d'un geste premier qui est le recouvrement de surfaces de papier blanc par une poudre noire comme le néant recouvrant une étoile morte dont ne subsiste plus que la lumière. Par un geste d'orpailleur, il fait apparaître en réserve des formes spectrales. Ces dessins conduisent l'artiste sur la piste de la photographie, l'investigation technique et la création d'outils qui vont devenir les axes majeurs de sa recherche. Il développe un travail minutieux pour créer des images semblables à des photogrammes de grande taille. Pour éviter le contrôle du résultat, il limite le geste de la main, choisit de mettre un écart entre son corps et le support, travaille à l'aveugle et multiplie les étapes de création.

 

Rafaa Bacha, 2019

 

 

 

 

 

Martial Déflacieux, Ce qu’il faudrait (peut-être) dire, préface de "study of phosphorescent light", 2019

 

 

Ce qu’il faudrait (peut-être) dire.

 

Le décor est donc le suivant : des nuages en fuite dans le ciel et, sur une table, un livre déposé. L’endroit est atypique comme on l’écrit dans les guides touristiques, il se trouve près de ce qu’Oliveira appelle le Val Abraham, peut-être le lieu où tout a commencé, c’est un fleuve, peu importe ; qu’il donne sur la mer, nous avait donné l’occasion de nous baigner. Je garde encore cette image, de grands rouleaux de vagues, à la puissance dangereuse face à l’insouciance de quelques amis qui, tout de même, ne s’éloignaient pas trop du bord, le mois d’octobre n’est pas propice à la baignade.

 

Pour retrouver le lieu dont il est question, il faut marcher un peu, dans cette ville de toute façon où que vous vous trouviez, il faut marcher un peu, savoir grimper, se débarrasser d’une certaine gravité pour découvrir son poids. Après avoir longuement gravi les côtes des ruelles enlacées, Il faut se rapprocher du Colisée, puis rentrer dans un bâtiment, un parking sur quatre ou cinq niveaux, je ne me souviens plus exactement.

 

Ce dont je me rappelle par contre, c’est d’avoir trouvé tout en haut, là où les mauvaises habitudes conduisent un certain nombre de personnes à se retrouver dans le patio, un épais brouillard. C’est bien plus tard, de retour sur les lieux que j’ai compris ce que signifiait ce brouillard, ce que la langue allemande désigne sous le terme « stimmung », une notion impossible à traduire, mais de nouveau une histoire de gravité me semble-t-il. L’important c’est de traverser, d’interpréter, de passer d’une langue à une autre... En réalité, je n’étais pas là, le jour où ce livre a été posé sur une table. Mais ce qui est vrai par contre, c’est que je l’ai eu entre les mains, comme toi à présent, ce qui nous rapproche probablement. Je ne l’ai pas volé, je l’ai saisi pour toi parce qu’on me l’a mis sous les yeux, « sur les yeux » devrait-on dire (peut-être). C’est à ce moment que j’ai pensé à Antonioni, c’est assez simple Anthony, Antonioni. En faits, bien plus compliqué. Des images qui se dérobent au discours désirent-elles qu’on leur face une telle publicité ? Des

images ou un long travelling syncopé ? Ne jamais poser plus de deux questions successives dans un texte m’a-t-on dit...

 

N’oublie donc pas que ce livre réfléchit de la première page à la dernière. Mets derrière toi, le récit qui l’introduit ; faire l’expérience de ce livre, c’est comprendre ce qu’une image ne peut dire. Antonioni, victime d’une attaque cérébrale, réalise son dernier film en collaboration avec Wim Wenders,

« par delà les nuages ». Devenu muet, il est atteint du « syndrome de l’incommunicabilité ». Je dirais ; vaste projet esthétique pour celui qui m’intéresse, qui nous intéresse à présent : « Le ciel est toujours serein à sept, huit mille mètres. Puis l’azur disparaît et une teinte turquoise apparaît, qui devient de plus en plus intense. Aux environ de deux cents kilomètres le ciel est noir ».

 

Martial Déflacieux, 2019

 

 

 

 

 

Florian Cochet, LA BLANCHEUR INTACTE D’UN TERRITOIRE VIERGE CUEILLE L’OBSCURITé fRUIT D’UN CRImE NAISSANT, 2018

 

 

 

LA BLANCHEUR INTACTE D’UN TERRITOIRE VIERGE

CUEILLE L’OBSCURITé fRUIT D’UN CRImE NAISSANT

 

                                                               à Anthony Plasse

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Orfèvre façonneur de fugaces lumières,

Orpailleur cosmique quêteur d'épiphanies,

Paladin tangible pourchasseur de chimères,

Poète conquérant des royaumes maudits,

Charmeur méticuleux des lueurs opalines,

Complice forgeur de lendemains constellés,

Impavide nocher des ténèbres marines,

Intrépide empenné de ciels ensoleillés!

C'est un si beau crime que de rompre le jour

De rendre visible monde qui ne l'est pas

De caresser des yeux ces instants de velours

Où l'on franchit le fleuve entre vie et trépas

Car de l'opacité luisent d'ardents foyers

De la franche clarté l'apaisante pénombre

Des profondeurs d'un mot l'éther pour s'éployer

Et préserver l'ailleurs au risque qu'il ne sombre

 

 

Florian Cochet, 2018